Peut-on faire revivre à une onde sa vie passée ? Ce problème a été largement étudié à l’Ecole Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris, notamment dans le cas des ondes acoustiques et électromagnétiques. Le procédé, appelé « miroir à retournement temporel », nécessite de nombreux capteurs et un matériel électronique assez lourd. Mais des équipes de l’Institut Langevin (ESPCI Paris/CNRS) et du Laboratoire PMMH (ESPCI Paris/CNRS/UPMC/ Université Paris Diderot) viennent de revisiter le phénomène de manière originale en s’appuyant sur les symétries entre l’espace et le temps, et en s’affranchissant de tout matériel électronique. Baptisé « miroir temporel instantané », le concept a été testé avec des vagues, et les travaux associés sont publiés dans Nature Physics et accessibles en ligne le 11 juillet 2016.
ESPCI Paris / CNRS
Dans une cuve remplie d’eau, si l’on vient perturber la surface (par exemple en appliquant un motif en forme de Tour Eiffel, comme ci-dessus) un paquet d’ondes va se propager autour de la perturbation. Or lorsqu’on applique un brusque changement dans le milieu de propagation, les ondes vont se figer avant de se scinder en deux parties : l’une poursuivant son chemin et l’autre retournant en sens inverse, vers son point d’origine.
Pour refocaliser un paquet d’ondes qui se propagent, les chercheurs utilisaient jusqu’à présent un miroir à retournement temporel, qui nécessite l’utilisation d’un système d’enregistrement pour « capter » l’onde et la réémettre en sens inverse. Les chercheurs ont conçu un nouveau dispositif dans lequel le milieu joue ce rôle de système de mémoire. En effet, la brusque modification imposée à la cuve (en fait une forte accélération dans le sens vertical, de l’ordre de 20 fois l’accélération de la pesanteur g pendant quelques millisecondes) est extrêmement rapide par rapport à la période des ondes. En résulte l’apparition d’un paquet d’ondes rétro-propagé, qui se refocalise exactement sur sa source. L’amplitude de cette onde qui revit exactement sa vie passée dépend alors de l’amplitude de la perturbation du milieu. Les scientifiques ont appelé ce procédé « miroir temporel instantané » (ou ITM en anglais) car tout se passe comme si le signal d’origine était « réfléchi sur un miroir », à partir du moment où le milieu est brusquement perturbé.
Un système efficace même avec des motifs complexes
Dans le cas de motifs complexes, la dispersion des ondes à la surface, ainsi que les interférences entre les ondes générées par les différents éléments du motif pourraient constituer un frein à la refocalisation du système. Au bout de quelques instants, l’image initiale est indiscernable, remplacée par un motif d’interférences complexe. Mais comme le montre la figure 2, la refocalisation a bien lieu. En fait, en décomposant les ondes initiales et en les comparant aux ondes inverses, les scientifiques ont bien constaté une grande similarité entre ces deux types d’ondes, même si les hautes fréquences sont atténuées par la viscosité de l’eau.
Ce concept élégant de physique fondamentale peut en théorie s’appliquer à tout type d’ondes : acoustiques, électromagnétiques, mécaniques ou même quantiques ! Reste la difficulté de perturber suffisamment le milieu de propagation, et suffisamment vite par rapport à la période des ondes utilisées, pour agir comme miroir temporel instantané. En l’état, l’expérience proposée par les chercheurs constitue un formidable dispositif pédagogique pour initier le public à la magie de la réversibilité des ondes avec des résultats observables à l’œil nu.
En vidéo
Motif simple : perturbation « ponctuelle »
Motif complexe : Tour eiffel
Motif complexe, smiley
RÉFÉRENCE DE LA PUBLICATION
Vincent Bacot, Matthieu Labousse, Antonin Eddi, Mathias Fink and Emmanuel Fort, Time reversal and holography with spacetime transformations, Nature Physics,.