Des physiciens du CNRS, de Thales, de l’ESPCI et de l’UPMC viennent de décrire un système expérimental inédit dans lequel la frustration géométrique d’un système magnétique peut être modulée très finement par une simple variation de température.
Il s’agit d’un film mince supraconducteur à haute température critique, dans lequel on peut moduler spatialement la supraconductivité à l’échelle nanométrique. Lorsqu’on applique un champ magnétique perpendiculaire, celui-ci pénètre dans le matériau sous forme de lignes de flux élémentaires appelées vortex, dont le cœur est à l’état normal, c’est à dire non supraconducteur. A fort champ magnétique, il existe un très grand nombre de vortex, qui interagissent entre eux de façon à se placer à égales distances les uns des autres. Cependant s’il en a la possibilité, et pour minimiser son énergie, un vortex va préférentiellement se placer dans un défaut du film mince dont la taille sera comparable à celle de son cœur, de l’ordre de 10 nm.
Les chercheurs ont imprimé un réseau de défauts nanométriques dans le film mince, avec une géométrie qui frustre les interactions entre vortex : ceux-ci doivent "choisir" s’ils minimisent leur énergie en se plaçant sur les défauts du réseau, ou bien en se plaçant le plus loin possible les uns des autres. Cette frustration conduit à une organisation spatiale désordonnée des vortex analogue à celle des molécules d’eau de la glace : c’est une glace magnétique.
L’astuce des chercheurs a consisté à réaliser un réseau frustré dont certains défauts étaient très proches. Les propriétés supraconductrices étant dépendantes de la température, ces défauts apparaissent séparés à basse température, mais comme un seul défaut à haute température (cf figure 1). Dans ce cas là, la géométrie du réseau n’est plus frustrante pour les vortex. Un simple changement de température permet donc de moduler le paysage énergétique vu par les vortex. A basse température, ceux-ci s’organisent sous forme de "glace magnétique", qui se "dégèle" à plus haute température, quand la frustration disparaît (cf figure 2).
Cet effet a été mis en évidence en mesurant les propriétés de conduction électrique sous champ magnétique dans les films minces de supraconducteurs ainsi nano-structurés.
Ce résultat ouvre la voie à des études très fines des glaces artificielles, mais également à des applications potentielles dans le domaine de la "fluxtronique", dont l’objectif est d’obtenir de nouvelles fonctionnalités électriques via la manipulation de vortex.
Lire aussi :
– l’analyse des chercheurs ;
– l’analyse de l’Institut de physique du CNRS.
Ces travaux ont reçu le soutien du Programme Émergence de la Ville de Paris, dont l’un des lauréats (Nicolas Bergeal) est auteur de cette étude.
Référence
Freezing and thawing of artificial ice by thermal switching of geometric frustration in magnetic flux lattices
J. Trastoy, M. Malnou, C. Ulysse, R. Bernard, N. Bergeal, G. Faini, J. Lesueur, J. Briatico & Javier E. Villegas
Nature Nanotechnology 9, 710–715 (2014) doi:10.1038/nnano.2014.158