Comment courber une feuille de papier pour lui faire recouvrir une calotte sphérique ? C’est impossible sans froisser la feuille. l’équipe MecaWet du laboratoire PMMH (ESPCI Paris, Université PSL, CNRS, Sorbonne Université, Université Paris Diderot) s’est inspirée de ce problème pour mettre au point un matériau qui mime la croissance biologique de certaines plantes afin d’adopter une forme souhaitée. Les chercheurs ont appelé ce matériau « baromorphe », car il contient des canaux d’air qui peuvent être gonflés, provoquant une dilatation inhomogène qui donnera la forme finale de l’objet. Leurs travaux viennent d’être publiés dans la revue Nature Materials, et offrent de multiples applications en robotique souple mais aussi pour le sport ou la médecine.
Actionnement d’un baromorphe de géométrie très simple : la variation de la pression interne induit le passage continu d’une chips à un plat à tajine, en passant par le disque plan.
Nous pouvons aisément courber une feuille de papier en un tube cylindrique ou en un cornet de frites conique. Il est en revanche impossible de courber cette feuille simultanément dans deux directions sans la froisser. Il n’est ainsi pas question de réaliser une calotte sphérique lisse.
Pourtant la nature regorge de structures qui, bien qu’initialement planes, adoptent des formes tridimensionnelles complexes lors de leur croissance. C’est par exemple le cas pour une feuille de laitue. Le secret de ces circonvolutions : certaines régions de la feuille grandissent plus vite que les autres.
Les baromorphes inventés par l’équipe du PMMH miment cette croissance biologique : la plaque d’élastomère (un matériau caoutchoutique souple), qui contient un réseau de canaux d’air, "croît" de manière inhomogène par l’intermédiaire du gonflement local des canaux, soumis à une pression. Ces canaux se dilatent beaucoup plus selon leur section que dans leur longueur. Une telle croissance étant incompatible avec la géométrie plane, l’objet dans son ensemble adopte alors une forme tridimensionnelle.
Cela permet donc de créer des objets souples, capables de changer de forme de manière réversible et dynamique. Dans cet exemple « d’intelligence matérielle », l’information est codée dans le réseau de canaux.
Ces résultats ouvrent de grandes possibilités d’applications dans le domaine de la robotique souple qui est en plein essor actuellement : robots-sauveteurs capables de se faufiler dans des environnements étroits ; robots chirurgicaux permettant manipulations et opérations à partir d’une incision minimale ; dispositifs de maintien corporel souples et réglables pour la rééducation et la préparation physique ; structures qui peuvent se déployer dans l’espace ; etc.
En parallèle de la publication, une demande de brevet a été déposée associant les inventeurs du matériau, l’Université PSL, l’ESPCI Paris et le CNRS.
Publication associée :
E. Siéfert, E. Reyssat, J. Bico & B Roman, Bio-inspired pneumatic shape-morphing elastomers, Nature Materials, 2018.