Effet du cannabis sur le cerveau : une avancée majeure

19/09/2014

Des chercheurs de l’ESPCI ParisTech, de l’INSERM et du CNRS ont mis en évidence un effet perturbateur des composants du cannabis sur les neurones, pouvant jouer un rôle majeur dans le développement du cerveau au temps de l’adolescence.

L’activation de CB1R par les cannabinoïdes induit une rétraction des neurites, l’arrondissement des cellules et le bourgeonnement temporaire des cellules Neuro 2A (aussi en video) ©Alexandre Roland, Benjamin Jordan & Zsolt Lenkei

Les effets du cannabis : un enjeu de santé publique

Le cannabis est aujourd’hui l’une des drogues les plus couramment consommées, et sa légalisation, à des fins médicales ou récréatives, est à l’étude dans différentes régions du globe. L’éventail des effets physiologiques du cannabis reste encore peu connu et doit être évalué avec soin, notamment dans le cadre d’une utilisation thérapeutique ou récréative accrue.

Dans cette perspective, de nombreux programmes de recherche dans le monde ont pour objectif d’évaluer les propriétés biologiques des cannabinoïdes (molécules qui activent les récepteurs du même nom dans le système nerveux central), notamment ceux du cannabis. Ces études portent notamment sur leur éventuel bénéfice dans le traitement de pathologies comme les nausées, les spasmes, la douleur chronique ou le glaucome (entre autres), mais aussi sur les effets secondaires (perte de mémoire, pathologies mentales), constatés notamment chez les jeunes.

Découverte d’un effet jusqu’alors inconnu du cannabis sur les neurones

C’est dans ce contexte d’intérêt général que des chercheurs de l’ESPCI ParisTech, de l’INSERM et du CNRS ont montré que les endo-cannabinoïdes (produits naturellement par l’organisme) et les exo-cannabonoïdes (comme ceux du cannabis) induisent une contractilité des neurones (par action de l’actomyosine) qui façonne à la fois leur morphologie et leur croissance. Ces résultats mettent en évidence un effet encore inconnu et inattendu des cannabinoïdes sur le cerveau. Ils représentent un pas en avant majeur dans la compréhension des effets du cannabis, notamment chez les adolescents, qui achèvent leur développement cérébral.

Il est aujourd’hui bien établi que le système de récepteurs endocannabinoïde est un régulateur de la signalisation neuronale et du développement des neurones. La principale cible, dans le cerveau, des endo- et des exo-cannabinoïdes (comme ceux présents dans la marijuana) est le récepteur cannabinoïde de type 1 (CB1R), l’un des récepteurs neuronaux couplés aux protéines G (RCPG) les plus abondants. Cependant, les effets moléculaires de l’activation de CB1R restent encore largement inconnus. En montrant que les principaux endo- et exo-cannabinoïdes – dont ceux présents dans le cannabis – déclenchent la contraction rapide et réversible des neurones (opérée par l’actomyosine), les chercheurs viennent justement d’identifier une nouvelle voie d’effecteur, en aval des CB1Rs neuronales.

Cette activation peut conduire à un remodelage morphologique de large ampleur des neurones et à des modifications durables de leur schéma de croissance, qui perturbe la façon dont ils se développent et s’interconnectent. Les chercheurs ont en effet montré que l’inhibition pharmacologique in vivo des CB1Rs au cours du développement du cerveau conduit à une croissance excessive des axones corticofuges. Ces résultats confirment que la contractilité des neurones, opérée par l’actomyosine via la médiation des CB1Rs, est nécessaire pour trouver le chemin axonal correct : c’est la preuve de la pertinence physiologique de nouveau mécanisme effecteur en aval des CB1Rs neuronales mis en évidence par les chercheurs.

Mieux comprendre pour pouvoir agir

Dans un contexte plus large, les recherches récentes convergent vers un consensus : au sein du cerveau, de multiples mécanismes de signalisation intracellulaire sont communs à la croissance de développement des neurones et à la régulation de la force de la synapse mature. Par suite, la reconfiguration de l’actomyosin induite par les CB1Rs pourrait aussi être impliquée dans l’activité fonctionnelle et les pathologies de la connectivité synaptique, telles que les troubles psychotiques qui se manifestent chez les adolescents prédisposés consommant du cannabis. Cette perspective pourrait offrir une opportunité d’intervention thérapeutique totalement inédite.


Cône de croissance des récepteurs CB1R
©Alexandre Roland & Zsolt Lenkei

Vidéos des résultats expérimentaux

 L’activation de CB1R induit une rétraction des cônes de croissance riches en actine.
 Effet de la dépolymérisation des microtubules sur la rétraction des cônes de croissance induite par CB1R.
 L’activation de CB1R induit la rétraction des cônes de croissance riches en active sur des tranches organotypiques.
 L’activation de CB1R induit la rétraction des neurites et l’arrondissement des cellules Neuro 2A.
 L’activation de CB1R induit une rétraction des neurites, l’arrondissement des cellules et le bourgeonnement temporaire des cellules Neuro 2A.

Référence

Cannabinoid-induced actomyosin contractility shapes neuronal morphology & growth
Alexandre B Roland, Ana Ricobaraza, Damien Carrel, Benjamin M Jordan, Felix Rico, Anne C Simon, Marie Humbert-Claude, Jeremy Ferrier, Maureen H McFadden, Simon Scheuring, Zsolt Lenkei
DOI : http://dx.doi.org/10.7554/eLife.03159
eLife 2014 ;10.7554/eLife.03159
Publié le 15 septembre 2014

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Contact

Zsolt Lenkei, MD, PhD
Equipe Dynamique et structure neuronale
Unité plasticité du cerveau
CNRS UMR 8249
ESPCI ParisTech
01 40 79 51 84
zsolt.lenkei (arobase) espci.fr

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